Régie des œuvres : plonger dans l’intime des réserves muséales

Le monde muséal regorge de possibilités. C’était déjà notre constat dans le portrait #6 consacré au métier de chargé d’inventaire. Nous poursuivons donc notre exploration dans les coulisses de la conservation avec ce portrait de métier #7. En plus d’être un milieu attractif, la régie des œuvres est aussi un domaine qui peut recruter. Emilie fait partie des petites mains qui aident à la préservation des œuvres pour leur transmission. Elle nous décrit un domaine encore trop peu connu du public et nous raconte son parcours. Elle parle de la nécessité de tout donner en toute circonstance, de l’intérêt de cultiver son réseau professionnel, et de cette envie constante de découverte qui caractérise les bons historiens.

Depuis le début de la série des portraits, une chose est sûre, les historiennes sont toujours motivées et souriantes ! Émilie Magnoux en est un autre exemple. Dans ce nouvel article, elle nous raconte son métier avec passion et détermination, et il en faut dans ce domaine, on ne le dira jamais assez. Humble et consciencieuse, elle adore organiser des sorties ou des voyages. Elle est aujourd’hui régisseuse en musée et nous en parle avec beaucoup de plaisir dans ce 7e portrait.
Bonne lecture !

Quelles étaient tes idées de métier avant de faire de l’Histoire de l’art ? Quel était le métier de tes rêves ?

Plus jeune, je dessinais beaucoup et voulais être architecte. J’avais même fait mon stage de 3e dans cette branche et m’étais renseignée sur des études de design. Ensuite, au lycée, parallèlement à mon bac scientifique, j’ai suivi mes premières heures d’histoire de l’art grâce à l’option Arts Plastiques.

Cette discipline m’a tout de suite plu, par ces possibilités infinies d’apprendre et de comprendre le patrimoine, véritable témoin de l’évolution du monde, de l’Homme et des cultures. Bien que la science était une alternative plus sûre que la culture, mon entourage m’a laissé suivre la voie qui me semblait la plus épanouissante et captivante : l’Art, et en particulier l’Histoire de l’Art.

À l’époque, je n’avais pas encore de projet professionnel, je ne savais pas ce que je voulais faire, mais je n’étais pas inquiète. Je pense qu’il est vraiment important de se laisser du temps pour découvrir toutes les possibilités du monde professionnel. Ça ne sert à rien de se précipiter.

Pour moi, faire de l’Histoire de l’art est une découverte continue !

Peux-tu nous résumer ton parcours universitaire ?

J’ai commencé par une licence Histoire de l’Art à l’Université de Tours (promo 2013-2016), avec une spécialisation en époque moderne. En 3e année de licence, j’ai participé à la Galerie Expérimentale avec le projet « Big Data », c’est lors de cette unité d’enseignement d’ouverture que j’ai découvert la régie d’expositions.

Projet « Big Data », Galerie Expérimentale 2016 au CCCOD et des étudiants de l’université de Tours

Après la licence, j’ai continué par une année de master recherche, combinée avec l’option professionnelle « Pratique de l’exposition et médiation culturelle ». Cette année-là, j’ai fait un stage en régie des collections au Musée des Beaux-Arts de Tours, ce qui a conforté mon choix de poursuivre dans ce domaine. Je me suis alors renseignée sur des masters plus spécialisés.

Sachant que ces études sont très sélectives, j’ai voulu accumuler plus d’expériences professionnelles avant de candidater, ce que j’ai fait grâce à une année de césure (super moyen de faire un ou plusieurs stages en gardant son statut étudiant !).

L’année suivante, mes efforts avaient payé et j’intégrais le master professionnel Patrimoine & Musées, parcours Régie des œuvres, de l’Université Bordeaux Montaigne. Au cours de cette formation, j’ai rencontré plusieurs professionnels et participé via le groupe Scénographie à un projet de valorisation patrimoniale sur l’Abbaye de La Sauve-Majeure, pour laquelle nous avons entre autre réaménagé le musée lapidaire attenant.

👉 En savoir plus sur cette formation : Master professionnel Patrimoine & Musées, parcours Régie des œuvres

Y a-t-il eu des moments de doutes ?

Oui, lors de mon premier master. L’exercice du mémoire ne me convenait pas, notamment la phase rédaction. J’ai longtemps considéré cette année comme un échec, mais aujourd’hui, je me rends compte que cela m’a permis de me réorienter plus rapidement vers une formation professionnelle en adéquation avec mes envies et projets.

Selon toi, quelles qualités sont nécessaires pour réussir ?

Outre la passion et la curiosité qui sont indispensables, je dirais qu’il faut avoir le sens du détail et être observateur !

As-tu fait des choix stratégiques en vue d’un métier ?

En dehors de mon année de césure, j’ai essayé de diversifier au maximum mes expériences pros dans différentes institutions aux collections variées. J’ai pu ainsi découvrir des univers différents entre musée de beaux-arts, château, centre d’art contemporain, musée de société, muséum… Cela m’a vraiment permis de compléter mes compétences et développer mon réseau professionnel, y compris géographiquement, ce qui est un véritable atout pour l’insertion professionnelle.

Une fois diplômée, quel a été ton parcours ? Est-ce que c’était long de trouver un emploi ? Tu as eu le choix, des opportunités insoupçonnées ?

Lorsque j’ai validé mon master en décembre 2020, j’étais déjà en poste depuis fin octobre au Musée de Royan, une de mes anciennes structures de stage pour laquelle j’avais réalisé un inventaire des collections en 2019. Appelée pour un remplacement, j’ai été embauchée pour un CDD de 3 mois renouvelable en tant que régisseuse des œuvres et agent d’accueil. Il s’agissait d’un petit musée de société (non labellisé « Musée de France ») en cours de réaménagement.

Entre temps, j’ai appris que j’étais acceptée au Musée du Gévaudan à Mende, où j’avais postulé en septembre, pour un emploi de régisseuse des collections et des expositions. Le contrat proposé était un CDD de un an renouvelable avec possibilité de titularisation après obtention du concours d’Assistant de Conservation du Patrimoine et des Bibliothèques.

Le Musée du Gévaudan, labellisé musée de France, est en cours de réhabilitation, d’extension et de réaménagement. Arriver au milieu d’un tel projet était une grande opportunité pour un début de carrière. J’ai donc terminé mon contrat royannais avant d’intégrer l’équipe mendoise début février 2021.

Pour ma part, j’ai eu de la chance. Mais je ne vais pas mentir, l’embauche post-universitaire n’est pas évidente. Alors donnez tout pendant vos stages et surtout gardez des contacts. Le réseau est très important dans notre milieu !

Tu es régisseuse d’œuvres, peux-tu nous décrire ton travail ? À quel domaine appartient-il ? Est-il accessible ?

Traitement anoxie d’une œuvre consistant à confiner un objet dans une atmosphère sans oxygène

En tant que régisseuse des œuvres d’art, je suis chargée de la gestion des collections et des expositions.

J’assure le suivi administratif et juridique des biens culturels grâce notamment à l’inventaire et au récolement décennal. J’enquête sur l’historique des œuvres et leurs anciennes appartenances afin de vérifier leurs provenances et propriétés. Je gère les dépôts et les nouvelles acquisitions.

Je garantie la bonne conservation des collections, leur documentation, leur sauvegarde. Je surveille le climat et l’environnement des œuvres pour limiter toutes dégradations, infestations ou contaminations. Je vérifie l’adéquation entre les objets et le mobilier d’exposition, de stockage ou les conditionnements. J’anticipe les risques et élabore des kits d’urgence et plans de sauvegarde.

Je supervise les chantiers des collections et suis les restaurations. Je recense, mesure, photographie et réalise des constats d’état. Je mets à jour la base de gestion des collections, les thésaurus et les localisations. Je m’occupe de la documentation du musée et traite les demandes de recherches.

Enfin, je conduis les montages et démontages d’expositions, ainsi que les mouvements internes et externes. J’emballe les œuvres et peux être amenée à les socler ou les encadrer selon les besoins. Je m’occupe d’assurer les collections, les expositions et les convoiements. Je rédige des conventions de prêts et vérifie les conditions de présentation des objets au public.

Les missions du régisseur varient d’une institution à l’autre. D’autres disciplines gravitent souvent autour de la régie, par exemple la conservation préventive, la scénographie, le soclage…

Travailler au milieu des artefacts dans les réserves (interdites au public), côtoyer des collections riches et variées des beaux-arts aux sciences naturelles en passant par l’archéologie, découvrir des coutumes anciennes et/ou étrangères à travers des objets, sont des avantages incroyables !

Ce que j’aime dans ce métier « en coulisse », c’est ce lien intime et privilégié avec des œuvres chargées d’histoire.

Lorsqu’on les dépoussière, qu’on les emballe, notre seul objectif est de prendre soin d’elles afin qu’elles traversent les siècles encore et encore. Cette filière du monde muséal est peu connue puisqu’il s’agit d’un travail de l’ombre. Je ne dirais pas qu’elle est facilement accessible (car peu de places et beaucoup de candidats, comme partout), mais elle n’est pas inatteignable non plus (avec de bonnes expériences et un bon réseau, on y arrive !).

En conclusion, si la régie t’intéresse : multiplie les expériences professionnelles (stage, bénévolat…), n’ait pas peur de bouger, visite des musées et des expos et surtout cultive ton réseau ! 😉

👉 En savoir plus sur le métier, découvrir l’Association française des régisseurs d’œuvres d’art

Lorsqu’on est motivée, les opportunités sont parfois au rendez-vous. De quelle réalisation es-tu la plus fière ?

L’une des réalisations qui me rend la plus fière est l’amorce d’un plan de sauvegarde au Musée Crozatier du Puy-en-Velay, l’été dernier. Cela ne faisait pas du tout partie de mes missions de stage, mais en voyant que cette institution de plus de 4 000 m² pour 170 000 œuvres ne possédait pas de plan d’urgence en cas de sinistre, cela m’a tout de suite interpellé.

Il s’agit d’un protocole visant à protéger et/ou évacuer rapidement les œuvres majeures lors d’un incendie, d’une inondation… Ayant déjà contribué à la réalisation d’un tel outil dans une autre structure, j’ai souhaité mettre mon expérience à profit en entamant ce projet au Puy. Je sais à présent qu’en cas de sinistre, ils seront mieux préparés et surtout que j’aurai participé à la préservation des biens culturels du Musée Crozatier.

Toutefois, je pense qu’une fois le Musée du Gévaudan ouvert, je serais extrêmement fière d’avoir participé à sa renaissance également.

Y a-t-il des exigences particulières concernant ce métier ?

Il faut être très attentionné et minutieux ! Les principales dégradations sont dues à de mauvaises manipulations. Alors, même si les restaurateurs font des miracles, ce n’est pas une excuse !

Quelles sont les difficultés de ton métier ?

La principale difficulté de mon métier est de faire comprendre aux visiteurs et même parfois à mes collaborateurs, les enjeux de la régie et de la conservation.

Par exemple, pourquoi devons-nous éviter de toucher certains objets sans gants ? Pour limiter l’altération de certains œuvres (objets métalliques oxydés par la transpiration de nos doigts), mais aussi pour nous protéger nous-même (biocides présents dans certaines collections du XIXe siècle). De même, les conditions climatiques et les manipulations lors des transports sont des facteurs à risques souvent minimisés.

Allez, on termine par une suggestion ?

Je commencerais par un incontournable pour tous les passionnés d’histoire de l’art : la trilogie de Dan Brown Da Vinci Code, Anges et démons et Inferno dans laquelle analyses artistiques de détails, de symboles et références historiques servent à résoudre des énigmes. Cette chasse aux indices est menée par Robert Langdon, un professeur de symbologie d’Harvard (interprété par Tom Hanks). Qu’est- ce que j’aurais aimé suivre un tel cours… !

J’ajouterais aussi La Femme au tableau de Simon Curtis. Il s’agit d’un très beau film traitant de la spoliation d’une œuvre lors la Seconde Guerre Mondiale.

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Vincent Van Gogh, La nuit étoilée, 1889, huile sur toile, peint à l'asile du monastère Saint-Paul-de-Mausole à St Rémy de Provence, 83 x 112 cm, Musée d'art Moderne, New-York (détail)
Vincent Van Gogh, La nuit étoilée, 1889, huile sur toile, peint à l’asile du monastère Saint-Paul-de-Mausole à St Rémy de Provence, 83 x 112 cm, Musée d’art Moderne, New-York (détail)

Et le mot de la fin !

Lancez-vous ! Très peu de formations vous ouvriront autant le regard. La culture est un milieu très épanouissant et enrichissant, alors, accrochez-vous !

Herculanum, maison de Neptune et Amphitrite, nymphée, mosaïque de Neptune et Amphitrite

✏️ N’hésitez pas à partager vos propres expériences et conseils dans les commentaires. Je serai ravie de découvrir de nouvelles idées pour enrichir cette exploration.

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