Exposer l’art contemporain : un métier pour « être dans l’art » !

Centre Pompidou-Metz Tania Mouraud rétrospoective MDQRPV, Acrylique sur mur, 2015

Faire l’expérience de l’art ? Est-ce la seule raison d’être d’une exposition d’art contemporain ? A priori oui, mais quelle est la mission principale du directeur d’exposition ? Quels sont les enjeux du métier et qu’est-ce que veut dire « exposer » au juste ? Aujourd’hui, je vous parle du « curateur » ou curator en anglais et de ses défis pour la compréhension des arts qui nous sont contemporains.

Qu’est-ce qu’une institution artistique ?

À l’instar d’un musée, la galerie d’art ou le centre d’art propose des expositions ouvertes au public. On y organise des événements culturels, privés ou scientifiques destinés à un nombre restreint ou non d’invités. L’un et l’autre ont une direction artistique et l’on s’y rend pour cultiver sa curiosité et être en contact avec des œuvres stimulantes. Alors en quoi ces lieux sont-ils différents d’un musée ou d’une institution culturelle traditionnelle ?

À la différence d’un musée dont le rôle est de rendre l’art et son histoire accessible au plus grand nombre, la galerie a pour mission de promouvoir un artiste et sa production, notamment à des fins commerciales. En outre, si le musée à un rôle de conservation – presque sacré – des œuvres, la mission d’une galerie est de diffuser, de promouvoir un talent.

L’institution artistique définirait ce qu’est : « être dans l’art ».

Par la mise en place de programmes artistiques, publics, privés ou virtuels, l’institution artistique revisite la place de l’artiste et de l’œuvre à son époque. Elle n’est plus simplement la conservatrice de vestiges passés, mais une actrice directe de la définition de l’art. Son rôle est bien de proposer une réflexion sur l’Artiste et de lui donner une visibilité.

Faut-il parler d’expérimentation plutôt que d’éducation ?

Parmi les différences les plus importantes, il y a la fréquentation des artistes sur place, la discussion et l’expérimentation avec les œuvres, qu’elle soit physique, virtuelle, numérique, auditive.

Faire l’expérience de l’art : entre la Joconde et Marina Abramovic

Pour faire simple, on n’expérimente pas de la même manière avec la Joconde, qu’avec Marina Abramovic, quoique…

Enfin, la galerie étant soumise aux aléas des tendances, le commissaire d’exposition participe aussi de la critique d’art. C’est pourquoi, il revisite constamment la place de l’artiste dans la société par des prises de positions et des programmes bien pensés. 

Les partis pris du curateur et son rôle

Le curateur est un intermédiaire. Il fait essentiellement le lien entre artistes, publics, financiers et pouvoirs divers. Il fait le lien entre les acteurs de l’art contemporain et modèle ensuite à sa guise l’art grâce à l’exposition. Il doit aussi être capable de s’adapter rapidement dans la conduite de ces projets et de ses relations, car il est sans cesse confronté à une culture de masse, connectée, hyperactive, et à l’ouverture des frontières qui favorise la concurrence.

Où commence l’instrumentalisation de l’art ?

Faire l’expérience de l’art : Jeff Koons : Balloon Dog (Magenta) (1994-2000), Château de Versailles, par Marc Wathieu
Jeff Koons : Balloon Dog (Magenta) (1994-2000), Château de Versailles, par Marc Wathieu

L’exposition doit être conçue comme une base de données ouverte, un lieu d’expérimentation libre. Pour le commissaire, l’exposition est un mode classique et générique de présentation des œuvres. Pour autant, elle ne doit pas être un récit linéaire et convenu, mais envisagée sur un mode de production éloquent, si possible un brin provocant.

L’exposition doit-elle devenir une œuvre à part entière ?

En tout cas, le commissaire doit être capable de former un discours autour des œuvres. Il doit savoir s’approprier la matière et le geste des artistes dans un cadre de production. Les enjeux ne sont plus uniquement esthétiques ou thématiques, mais symboliques et expressifs. Le visiteur doit percevoir une réflexion au-delà de la disposition et du montage des œuvres. Du coup, en refusant la présentation traditionnelle muséale, il pousse à la confrontation par un système d’échanges et d’expérimentations.

Le geste du curateur serait-il plus fort que celui de l’artiste ?

« Il y a les gens de l’art et les gens dans l’art »

Alain Julien-Laferrière, directeur du CCCOD de Tours

Une exposition est quelque chose dont on manipule la signification. Si les choix des projets peuvent sembler empiriques pour un regard extérieur, ils sont guidés par l’intuition, la prise de risque et l’étude des tendances artistiques. La curiosité, le hasard d’une rencontre, le suivi des acteurs et des mouvements contemporains motivent les choix du curateur. C’est un vaste programme dans lequel il faut faire preuve d’esprit critique.

Faire l’expérience de l’art : Salle d'exposition au CCCOD de Tours, 2020, par Victortsu (CC BY-NC 2.0)
Salle d’exposition au CCCOD de Tours, 2020, par Victortsu (CC BY-NC 2.0)

Rencontrer, discuter, fréquenter et concevoir…

L’exposition est aussi un projet dans lequel la présence de l’artiste est prédominante et la rencontre cruciale. Le rôle du curateur est de mettre l’artiste et ses œuvres au centre de cette rencontre. En se réinventant constamment au gré des projets, les centres d’art contemporain redéfinissent les rapports à l’œuvre et l’artiste. Le curateur avec l’artiste doit développer tous les aspects de la création : numérique, éphémère, lieu, lumière, mise en scène, rapport de force entre œuvre, manques ou refus…

Le dialogue comme clé de réussite

Le commissaire travaille de même en relation avec son public. Il est responsable de l’art qu’il présente en son nom et parfois en réaction avec l’espace ou le public : pourquoi avoir choisi tel programme artistique ? Pourquoi cet artiste ? Pourquoi faire quelque chose lorsque les autres le font déjà et très bien ?…

Un face à face entre artiste, œuvre, public et commanditaires

L’exposition est souvent l’aboutissement d’une rencontre, d’une discussion, de temps en temps d’une confrontation entre deux personnes qui réfléchissent sur ce qu’est « le sens de l’art ». Occasionnellement, une invitation à discuter devient une invitation à exposer. La discussion et l’échange entre un curateur et un artiste deviennent de temps en temps les principaux vecteurs à d’autres formes interactions : public/œuvre ; artiste/public ; espace/œuvres ; institution/artistes ; époque/œuvres.

Pour aller plus loin : Les comportements du spectateur comme enjeux de l’art contemporain.

Ensuite, les notions de délais, d’espace et de dialogue participent de même à la définition d’une exposition. In fine, cette dernière devient le résultat d’un improbable emboîtement d’éléments : un voyage, la découverte d’un artiste ou une discussion… Cela donne différentes directions, des prises de positions logiques et déterminées (critiques, esthétiques, théoriques).

Enfin, il ne faut jamais oublier que de nombreux acteurs et artistes du milieu se connaissent. C’est un milieu restreint, fermé, presque exclusif dans lequel il est laborieux de se faire accepter… Les destinataires de l’art doivent se fréquenter et se voir pour exister. La concurrence est rude, on ne cessera de le dire dans ce domaine… Le réseau et les projets existants font partie intégrante du métier.

Le curateur est-il aussi un médiateur culturel ?  

« L’art contemporain vient à la société par l’exposition » 

Maïté Vissault, directrice de l’ikob – Musée d’Art Contemporain de Eupen

Le commissaire conçoit aussi le programme annexe de l’événement (colloques, catalogues…). Il doit savoir être l’intermédiaire entre l’exposition, l’art, les publics et les pouvoirs (presse, politiques, budget, etc.) pour donner visibilité et crédibilité au projet. Ainsi, interfère-t-il entre la production de l’art et la société. Néanmoins, la pratique curatoriale reste prioritaire sur la médiation culturelle. Le commissaire doit avant tout promouvoir le travail des artistes et sa postérité sur le plan sociétal, conceptuel et financier. 

Faire l’expérience de l’art : Maîtres Xs, 21e siècle, Hambourg Kunsthalle, par Jean-Louis Mazieres (CC BY-NC-SA 2.0)
Maîtres Xs, 21e siècle, Hambourg Kunsthalle, par Jean-Louis Mazieres (CC BY-NC-SA 2.0)

Rendre visible : proposer une invitation à réfléchir

Au contact direct des artistes, le curateur conçoit tout de même l’exposition pour faciliter l’expérimentation au niveau du public. L’une de ces préoccupations principales est la lisibilité des œuvres dans le lieu. Son travail sur les œuvres est donc déterminant pour donner la place idéale dans l’exposition et à terme produire du sens. Parfois, le concept ne prend pas tout de suite, et l’exposition fait sens des décennies après.

Finalement, le montage d’une exposition est le fruit d’une réflexion nécessitant culture, rigueur et une sensibilité des rapports qu’entretient un artiste avec son œuvre. Cela nécessite aussi un fort degré de confiance entre l’artiste et le curateur, une expérience des choses, des lieux et de l’art.

Une réflexion rigoureuse et ingénieuse de l’artiste

Le curateur pense le lieu, la mobilité des œuvres ou du public. Il confronte et donne de la cohérence à l’ensemble du programme en collaboration avec les artistes. De cette manière, l’exposition devient un laboratoire d’expériences et donne du sens aux œuvres et à leurs réceptions.  

La curation est un univers non figé et interactif. Le temps et l’espace ne comptent plus, car l’exposition confronte et rassemble « les gens de l’art » et « les gens dans l’art » sans être une chose froide et sans vie. Seule compte la prise de risque et le dévouement d’une institution pour l’Artiste et son œuvre et son impact sur le public.

👉 Pour aller plus loin : Ce qu’exposer veut dire. Exposer l’art contemporain [conférences, 2017]

Et vous, quelle exposition d’art contemporain vous a le plus bouleversé ?

Partagez et retrouvez toutes les idées de métiers de Place plume dans la rubrique « Portraits« . Et sinon, on discute métiers et opportunités ensemble sur les réseaux et en commentaire !

Image principale : Centre Pompidou-Metz, Tania Mouraud, rétrospective MDQRPV, acrylique sur mur, 2015, photo Melina1965 de Flickr (CC BY-NC-SA 2.0)

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