L’auto-entreprenariat est-il compatible avec l’Histoire de l’art ? Comment créer son entreprise après un cursus en Sciences Humaines ? C’est un sujet des plus méconnus dans le domaine des Sciences Humaines. Jamais on ne parle de devenir auto-entrepreneur dans les amphis…. Alors, dans ce nouveau portrait, je vous propose une découverte de l’auto-entreprise appliquée au domaine du patrimoine bâti.
Voici le portrait d’Aude Benoist. Passionnée, déterminée et un brin idéaliste, Aude est avant tout historienne de l’art et travaille aujourd’hui à son compte dans le domaine de l’architecture et du patrimoine bâti. Elle est donc auto-entrepreneuse et nous raconte comment elle s’est lancée dans cette fabuleuse aventure après ces études d’Histoire de l’art. Bonne lecture !
Aude, aujourd’hui tu es auto-entrepreneuse, mais quel était le métier de tes rêves avant d’être diplômée ?
Au départ, je n’avais pas de vision claire d’un métier. Mais j’ai su très tôt que ce qui m’intéressait, et c’était le patrimoine bâti. Durant mon master, j’ai découvert les Parcs Naturels Régionaux (PNR) et les Centres d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE). Je rêvais donc d’un poste dans un de ces deux organismes.
En revanche, je me suis toujours dit que travailler dans une agence d’architecture n’était pas fait pour moi… Et voilà que ma première opportunité professionnelle, à la sortie de mon master, est un poste chez un architecte du patrimoine ! Comme quoi la vie nous met face à des opportunités inattendues qui nous demandent une remise en question permanente.
Quel est ton parcours universitaire ? Peux-tu nous donner un aperçu de ta formation ?
Je n’ai jamais eu de doute ou d’incertitude sur mon parcours universitaire, car les cours magistraux m’intéressaient énormément, j’étais vraiment passionnée.
J’ai fait une licence d’histoire de l’art à l’Université de Tours puis un Master mention Histoire de l’art parcours « Restauration et réhabilitation du patrimoine bâti » à l’Université de Rennes 2. La première année de mon Master était orientée « recherche » et la seconde « professionnelle ».
Ce Master est vraiment idéal pour les diplômés d’une licence d’histoire de l’art dont la sensibilité est l’architecture. C’est un des seuls masters de France spécifiquement orienté sur le patrimoine bâti. En plus, des professionnels de la conservation, de la restauration, de la réhabilitation et de la mise en valeur du patrimoine bâti interviennent régulièrement tout au long du cursus. Ce master permet de développer un premier réseau. Et deuxième gros plus, la formation se termine par un stage de fin d’étude de 6 mois.
« Historien de l’art » : un titre qui n’évoque rien aux recruteurs ?
La fin de mes études me faisait peur, car je ne savais pas où elles allaient me mener. Ce qui est compliqué avec des études d’Histoire de l’art, c’est qu’on ne sort pas de ce diplôme avec un titre bien défini.
Nous avons le titre plutôt vague d’historien de l’art, mais qui n’est pas vraiment reconnu. J’ai d’ailleurs mis très longtemps avant d’oser vraiment me définir comme tel, car je ne me sentais pas légitime. En plus, ça n’évoque rien à de potentiels recruteurs.
Pourquoi avoir choisi de faire de l’Histoire de l’art ? Est-ce que c’était dur d’imposer tes choix ?
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai très tôt ressenti un attrait pour le patrimoine bâti et l’histoire de l’art de façon générale. J’ai réalisé mon stage de troisième au château de Blois, et déjà au lycée, je savais que je voulais faire de l’histoire de l’art.
À une période, j’ai hésité à faire une école d’architecture, mais je n’ai finalement pas continué dans cette voie. C’est d’ailleurs un choix que je ne regrette pas du tout. Comme dit plus haut, je pense qu’inconsciemment, c’est le fait d’habiter dans une région où le patrimoine architectural est extrêmement riche qui a développé en moi cet intérêt.
Mes parents m’ont toujours soutenu dans ce choix et m’ont laissé totalement libre du choix de ma formation. Ce qui leur importait, c’est que je trouve une voie qui me passionne. Pour le reste de mon entourage, je pense qu’ils ne voyaient pas très bien où ça me mènerait, mais je n’ai jamais ressenti de jugement.
As-tu fait des choix stratégiques en vue d’un métier ?
J’ai réalisé beaucoup de stages durant ma licence et des chantiers bénévoles (via l’association Rempart) durant mon Master. Il s’agissait de stages dans des domaines très variés en musée, au CAUE, des stages de recherche auprès du CMN, mais également des jobs d’été en tant que guide afin de découvrir différents métiers et d’affiner mon orientation.
J’ai exécuté ces stages pour avoir un peu d’expériences professionnelles, car j’avais peur d’être vu dans le monde du travail comme une simple universitaire sans aucune connaissance des réalités du terrain.
Une fois diplômée, quel a été ton parcours ? Est-ce que c’était long de trouver un job ? As-tu eu du choix, des opportunités insoupçonnées ?
Après mon stage de fin d’étude, j’ai réalisé un autre stage d’un mois chez un maçon-tailleur de pierre spécialisé dans le bâti ancien, dans les techniques traditionnelles et les matériaux biosourcés. Une fois encore, cette expérience avait pour but de me confronter à la réalité du terrain.
Se confronter à la vie professionnel et travailler son réseau
J’ai ensuite trouvé un poste de collaboratrice auprès d’un architecte du patrimoine deux mois après la fin de mes études. Cette première expérience m’a énormément apporté. Elle m’a fait entrer dans le monde du patrimoine et m’a apporté des contacts qui allaient être déterminants pour la suite de ma vie professionnelle. Elle m’a également fait beaucoup réfléchir sur ma vision du travail, ce que je voulais et ce que je ne voulais pas et connaître les atouts de mon profil.
Un monde dans lequel il est difficile de rentrer surtout sans expérience.
Je suis consciente d’avoir eu énormément de chance ! Car la plupart de mes amis de promo (licence et master) n’ont pas trouvé de travail dans le patrimoine et certains ont dû complétement changer de voix.
Si vous êtes suffisamment passionné et déterminé à réussir, vous en serez capable, le plus important, c’est d’avoir confiance en notre profil atypique qui est une véritable plus-value.
Tu es auto-entrepreneuse, qu’est-ce que ça veux dire ? Pourquoi avoir fait le choix de l’auto-entreprenariat ? Est-il facilement accessible ? Tout le monde peut-il y prétendre ?
Aujourd’hui, je suis auto-entrepreneuse ce qui veut dire que j’ai décidé d’être mon propre patron et de travailler en mon nom. J’ai fait le choix de l’auto-entreprenariat, car ma première expérience professionnelle m’a fait beaucoup réfléchir sur mon rapport au travail et sur la plus-value de mon profil d’historienne de l’art spécialisée dans le patrimoine bâti.
Assumer son profil de spécialiste, créer son métier idéal !
J’ai découvert que mon profil pouvait être très intéressant pour divers acteurs engagés dans la restauration et la valorisation du patrimoine bâti, mais que dans un poste de salarié, je pourrais vite être limité. Lors de mon premier poste, je ressentais d’ailleurs continuellement la frustration de ne pas pouvoir utiliser mes connaissances.
J’ai donc voulu créer mon métier idéal avec ces missions idéales.
Un métier dans lequel je serais constamment stimulée intellectuellement, parce que j’avais surtout à cœur de mettre mes compétences au service du plus grand nombre.
Rendre disponible ses connaissances
Travailler à mon compte, c’est quelque chose que je pensais impossible dans le domaine du patrimoine, cette idée ne m’avait d’ailleurs jamais traversé l’esprit durant mes études.
L’auto-entreprenariat est très accessible dans ses démarches administratives. Une fois son entreprise inscrite, tous les mois ou tous les trimestres, on paye des charges sociales sur notre chiffre d’affaires. C’est un statut très simplifié qui est idéal pour tester un concept et se lancer.
Se lancer avec abnégation et de bons contacts…
Tout le monde peut y prétendre. Cependant, il faut être prêt à se consacrer totalement à son entreprise, à penser 24/24h à comment la développer. Il ne faut pas avoir peur du démarchage pour trouver des clients et se faire connaître. Il est donc essentiel d’avoir des contacts et surtout une très bonne connaissance des différents organismes et du fonctionnement du milieu du patrimoine.
Comment est-ce qu’on monte son entreprise ? Par quelles étapes faut-il passer ?
J’ai lancé mon entreprise en juin 2020. Je propose mes services à des architectes, principalement des architectes du patrimoine, des municipalités et des particuliers. Mes services sont les suivants : étude historique et architecturale, inventaire du patrimoine, étude urbaine, montage de dossier de protection au titre des Monuments historiques et projet de valorisation.
Avant de monter son entreprise, il faut réaliser toute une étude de marché afin de voir si cette entreprise est viable et si une clientèle existe. J’ai donc fait la liste des services que je pouvais proposer, j’ai listé mes futurs clients potentiels, et également mes concurrents, et enfin, j’ai établi mes prix et les différentes dépenses que j’aurais.
Je n’ai pas été accompagnée et n’ai réalisé aucune formation. Étant encore salariée au moment du lancement de mon entreprise, je ne pouvais pas bénéficier des formations de Pôle Emploi et les autres organismes ne proposaient que des formations payantes que je ne pouvais pas financer à ce moment.
Néanmoins, il existe de nombreux livres et sites internet donnant de très riches informations sur les démarches à suivre pour créer son entreprise. Aujourd’hui encore, j’essaie de me réserver du temps pour me former soit via des lectures, soit en me payant des formations auprès d’organismes comme le BGE.
Quels sont les avantages, les difficultés et les inconvénients de ta profession ? Selon toi, est-ce un moyen de se soustraire au chômage ?
Avantages du métier :
– la diversité des bâtiments
– apprendre tous les jours
– stimulation intellectuelle
– Renouveau constant : travail de bureau, extérieur, archives…
– Diversité des rencontres
– se sentir utile et légitime dans ces fonctions d’historien
Avantages du statut
– Liberté de gérer son temps
– Fierté de son travail
– Démarches administratives simplifiées aujourd’hui
– Le plaisir de travailler sans compter les heures
– Être reconnu en tant que spécialiste : se faire un nom
Inconvénients
– Déconnecter du travail
– Se faire connaître, montrer sa légitimité et l’intérêt de travailler avec un historien
– Devoir montrer l’intérêt d’investir pour une meilleure connaissance d’un édifice
– Vaincre le syndrome de l’imposteur
Pour moi, ça n’a pas du tout été un moyen de me soustraire au chômage, ce fut un véritable choix et même une évidence qui s’est imposée à moi ! Je n’ai jamais été aussi épanouie dans ma vie professionnelle qu’aujourd’hui
Que penses-tu du régime auto-entrepreneur et quel est ton ressenti face à cette expérience de création d’entreprise ? Est-ce que c’est compliqué à mettre en place ?
Je trouve que le régime d’autoentrepreneur est idéal pour se lancer et pour tester la viabilité d’une entreprise sans trop de risque et sans trop d’investissement. Par ailleurs, les charges sociales sont calculées sur ton chiffre d’affaires et les mois où tu ne gagnes rien, tu n’as rien à payer. Les démarches administratives du quotidien sont relativement simples et tu n’as pas besoin de faire appel à un comptable.
Le statut a cependant des limites, le statut d’autoentrepreneur est soumis à un plafond annuel de chiffre d’affaires, si tu le dépasses, il faut changer de statut. Il n’est également pas possible de déduire des frais et charges professionnelles lors de notre déclaration de CA auprès de l’URSSAF. Ce statut n’est donc pas intéressant si tu as énormément de frais de déplacement par exemple.
Pour toi, quelles sont les qualités essentielles pour faire ce que tu fais ? Quel profit correspond le mieux à ton métier ?
Pour faire ce métier et en tant qu’indépendant, il faut évidemment être vraiment passionné par ce que l’on fait afin de pouvoir s’y consacrer à fond et sans que cela soit une corvée. Il ne faut pas avoir peur de sortir de sa zone de confort et il faut savoir prendre des risques, ne pas vouloir d’une routine rassurante.
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui hésite à se lancer dans l’auto-entreprenariat et/ou en Histoire de l’art ?
Pour les deux, si tu es passionné, fonce ! Pour être épanoui professionnellement et intellectuellement, il faut suivre ce qu’il nous fait vibrer et ne pas s’arrêter à ce premier sentiment qui est de se dire que ça ne nous mènera nulle part et qu’on n’en est pas capable.
Par passion et détermination, on peut tout réussir et réaliser de grandes choses.
Durant ses études universitaires, il ne faut pas hésiter à faire le maximum de stage afin de se confronter aux réalités du monde professionnel et à commencer à se créer un réseau. Soyez curieux et allez visiter un maximum de lieux culturels pour voir ce qu’il s’y fait et les différentes façons de le faire.
Une suggestion culturelle pour terminer ce portrait ?
Voici un livre qui résonne très bien avec l’actualité. Il s’agit d’un livre écrit par Marwa Al-Sabouni, Dans les ruines de Homs, Journal d’une architecte syrienne.
Ensuite, je conseille la série Gymnastique – Architecture sur Arte, les épisodes durent entre 4 et 6 minutes et feront écho au cours de licence en Histoire de l’art.
👉 Pour en savoir plus, rendez-vous sur audebenoist.com.
Retrouvez toutes les idées de métiers de Place plume dans la rubrique « Portraits« . Et sinon, on discute métiers et opportunités ensemble sur les réseaux : rejoins-nous !
0 Comments